Le Tour du Mont Blanc


14 juillet 2020, Tour du Mont Blanc

C’est un immense défi qui nous attend ce jour-là.

Il est environ 3 heures du matin quand les réveils sonnent, un petit déjeuner copieux car nous allons avoir besoin de beaucoup d’énergie aujourd’hui pour avaler les 340 kilomètres et 8500 mètres de dénivelé au programme, un défi de taille, même après ceux réalisés au printemps.

Un sacré défi organisationnel aujourd’hui avec Merryl en maîtresse assistante, nous avons bien échangé ensemble la veille et elle prend ce défi très à cœur.

Il est à peine 4 heures du matin quand nous quittons le camping aussi discrètement que possible après avoir chargé les 5 vélos et 6 personnes, plus la grande glacière, l’eau, les grands sacs avec le ravito, la caisse à outils, la table pour le ravitaillement, déménagement et Tétris dans le silence et à l’obscurité avant d’envisager tourner les guiboles.

Le rendez-vous est prévu à Sallanches où nous retrouvera Hugo.

Nous partons comme prévu à 5 heures précises, il n’était pas question d’attaquer en retard vu le programme du jour, j’ai estimé le retour à 22h30 environ.

Nous sommes 4 à partir, harnachés de nos lumières et de nos gilets jaunes, Marion et moi qui avons comme objectif de terminer, Hugo et Xavier espèrent, eux, aller le plus loin possible.

Il fait frais mais le temps est agréable et le jour se lève progressivement quand nous sommes aux alentours de Chamonix, le parcours est casse-pattes dans sa partie initiale, pas de vrai col mais une succession de montées et de descentes où il faut faire attention à ne pas se griller les ailes, Hugo et moi qui menons le peloton côte à côte sommes bien loin du rythme des américaines endiablées que nous avons vécues à Bourges et à Genève dont nous sommes finalement peu éloignés. C’est l’occasion de découvrir pour chacun de nouvelles routes, les 210 premiers kilomètres nous étant à tous inconnus.

Après les petits cols des Montets et de la Forclaz, nous sommes désormais en territoire helvétique et nous plongeons sur Martigny où nous attend le premier véritable test du jour, la rude montée de Champex-Lac, 10 kilomètres pour 900 mètres de dénivelé et dès le pied, Marion roule à un très bon tempo, que je trouve un peu trop élevé, Xavier et Hugo lâchant progressivement pour monter à leur rythme, je me dis que soit il faudra la ramasser à la petite cuillère un peu plus tard, soit elle est dans un jour exceptionnel et c’est chacun de nous qu’il faudra récupérer à la pelle.

Au sommet de Champex, il fait relativement froid, nous sommes à l’ombre, à 1500 mètres d’altitude et il est à peine 9 heures du matin. Valentin sort du camion et nous rejoint, Xavier et Hugo sont déjà un peu dans le rouge alors que nous redescendons dans la vallée pour attaquer le Grand Saint-Bernard, point culminant du parcours. 40 kilomètres, d’abord une route large et peu pentue, mais interminable, avec beaucoup de circulation. On prend des relais en gérant, 200-220 watts à mon compteur, pas plus, Valentin est plus sage que le dimanche dans Joux Plane, c’est souhaitable pour nous amener le plus loin possible, c’est un défi de groupe, il faut être soudés et s’adapter.

Je sens que je ne suis pas dans une bonne journée, c’est ma première journée à plus de 2000 mètres et j’ai souvent du mal à m’y accommoder. Après avoir laissé le tunnel sur notre gauche, il reste encore 6 kilomètres bien plus raides et exposés au vent, un moment très difficile pour chacun de nous. Nous restons groupés tous les 4, Xavier montant derrière à son rythme, il sera récupéré par la camionnette d’assistance, Hugo, épuisé, s’arrêtera là aussi. Nous prenons un long moment pour nous restaurer, nous changer, 40 kilomètres de descente puis 30 kilomètres de faux-plat nous attendent une fois que nous aurons basculé vers l’Italie, le col marquant la frontière entre la suisse et nos amis latins. Après une longue descente sur une belle route, je mène le tempo sur toute la partie de faux-plat qui mène à la Thuile, où nous arrivons après environ 200 kilomètres, ça devient dur… mine de rien ce faux-plat représentait le même effort qu’un col, avec 200-220 watts de puissance, assez stressant aussi car je faisais davantage confiance à mon feeling qu’à mon GPS qui m’indiquait de prendre à peu près toutes les sorties, j’avoue que j’avais une certaine crainte de me faire « enguirlandée » si je nous avais rajouté quelques kilomètres (non, non pas par Valentin… 😊)

A La Thuile, le petit arrêt fait du bien mais je me suis sur le toit… On récupère Franck, un ami qui habite à Albertville et qui nous accompagnera pendant une centaine de kilomètres. Marion, pensant être un peu juste, part quelques minutes avant nous et Franck essaie de nous ramener un peu vite, je sens que je me mets un peu dans le rouge, à 250-260 watts, un peu trop de fierté de ne pas me laisser décrocher et je vais le payer bien plus tard, car sur un parcours comme cela, ça se paie cash. A une dizaine de kilomètres du sommet, mon psoas me tourmente et je dois m’arrêter 2 ou 3 fois, me masser pour soulager. C’est vraiment soulager le mal par le mal car les pressions digitales sur un psoas tendu, c’est un peu comme les contractions d’un accouchement, enfin j’ai personnellement du mal à me rappeler ma dernière grossesse mais ça a l’air d’y ressembler. Plus sérieusement, c’est à peu près ce que j’essaie de me dire pour sourire un peu car il reste plus de 100 kilomètres, 2 montagnes à franchir, je souffre et je suis sans énergie mais je me suis interdit d’abandonner, je dois montrer que je ne lâche rien, le montrer à Marion, le montrer à moi-même, même si je n’ai rien à prouver, le symbole est tellement important.

Au sommet du Petit Saint-Bernard, nous attaquons le retour en France, vers Bourg Saint-Maurice pour attaquer le Cormet de Roseland, David nous a maintenant rejoint et mène la descente, j’en suis heureux, normalement c’est mon rôle mais je commence à manquer de lucidité et il descend parfaitement techniquement, du coup Merryl est seule à gérer l’assistance, même si Xavier et Hugo lui donnent un petit coup de main. Dans le Cormet, c’est la seconde option imaginée plus tôt qui se manifeste, c’est Marion qui fait la lessive et nous essore tous, elle se balade sur les pédales tandis que David et moi montons ensemble, je suis mieux que dans le col précédent, en fait je suis exactement aux watts prévus, 200-220, ce n’est pas moi qui flanche, c’est Marion qui est dans un jour de grâce, me rappelant des souvenirs des Pyrénées trois ans plus tôt, où le « je grimpe tranquille » n’avais pas la même signification. Pas de fierté mal placée, je suis très heureux de la voir en pleine forme, je me dis qu’elle en tirera de la confiance et que ça lui fera plaisir de me relâcher dans les cols, ça doit être ça l’amour.

Nous arrivons à l’heure envisagée, 19h10, au sommet de ce merveilleux col, nous retrouvons Marjolaine et son compagnon sont en haut et ferons les derniers kilomètres avec nous alors que Valentin souffre et arrête son périple là, 160 kilomètres et 4000 mètres de dénivelé, superbe performance à son âge, qui me rappelle ma première Marmotte, un défi hors norme à l’époque, aujourd’hui il s’agit d’en aligner deux, et pour ça il ne va pas falloir hiberner !

Dans la descente vers Beaufort, je ne sens plus fort beau, je dois me déhancher sur le vélo sans cesse tant que je commence à avoir mal partout, le dos, le cou, les mains, les cuisses, les pieds…

Il reste le col des Saisies, je ne l’ai monté qu’une fois de ce versant et c’est un mauvais souvenir, ce sera encore plus compliqué aujourd’hui, Marion s’est envolé, elle qui pensait qu’elle n’y arriverait pas, elle qui pensait que ce serait du gâteau pour moi après mes défis du printemps… elle s’est sous-estimée, elle m’a surestimé, si encore ça ne pouvait être que sur le vélo… Mètre après mètre accompagné d’Olivier, Marjolaine et David, je hisse ma carcasse en haut de la station savoyarde et je peux dire qu’au sommet des Saisies… je suis cuit comme de la semelle !

On ne s’attarde pas car il est plus de 21 heures et il reste une bonne quarantaine de kilomètres, essentiellement en descente. Après Flumet, il reste quelques kilomètres de montée vers Megève, souvenir aussi de la plus longue étape de la Haute Route, en 2017, le jour de mon anniversaire où tout le team massage et plusieurs concurrent.e.s de l’épreuve, dont Emma Pooley, championne olympique m’avaient réservé de belles surprise. Là on laisse Marjolaine et Marion nous ramener vers Sallanches, elles discutent comme si elles venaient de partir, alors on discute avec David, enfin on serre les dents surtout car les donzelles n’amusent pas le terrain !

La dernière descente vers Sallanches s’effectue sous la pluie et en pleine nuit désormais, les lumières de nos vélos sont un peu justes, mais Merryl nous offre les phares du camion pour nous guider et nous arrivons à destination à 22h31, tout juste comme prévu. Une assistante au top avec nous sans qui un tel défi n’aurait pas été jouable, un bon souvenir pour elle aussi (et elle n’était pas au bout de ses surprises)

La nuit s’est calmé et les 9 participants de ce défi pouvons savourer et se féliciter de cette performance qu’on vient d’accomplir. Je suis rincé et reste quelques minutes par terre, j’aimerais que Marion vienne me voir mais elle ne se rend pas compte à quel point j’ai souffert, c’est vrai que je n’ai parlé à personne de mes douleurs dans le Petit Saint-Bernard, à ce moment-là, je pense que je me serais arrêté si je ne l’avais pas fait en partie pour elle. Hugo et Merryl sont là pour me parler et j’arrive doucement à retrouver mes esprits. On pose pour le souvenir avec les maillots que j’avais fait faire pour marquer l’événement.

Il est aux alentours d’une heure du matin quand nous rentrons au camping et pouvons aller prendre une bonne douche de récupération, l’une des plus méritées de notre carrière cycliste. Le premier défi de juillet était validé.